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Aujourd’hui, on ne parle plus seulement de “déficience” à propos du handicap. On parle d’un problème social. Un problème de société. Parce que le handicap n’exclut pas en soi — c’est l’inaccessibilité, les normes dominantes et les regards biaisés qui le font.
Dans cet article, je vous propose de mieux comprendre cette bascule :
Pourquoi le handicap est désormais reconnu comme un enjeu collectif — et pas seulement une affaire de médecine ou d’assistance. Et surtout : ce que ça change dans nos façons de concevoir les outils, les espaces… et les interactions humaines.
Alors posons les choses clairement : le handicap, ce n’est pas une faiblesse individuelle.
Ce n’est pas “quelqu’un qui ne marche pas”, “qui ne voit pas bien”, ou “qui comprend moins vite”. Ce genre de formulation — qu’on entend encore bien trop souvent — réduit la personne à un manque, à un écart, à un défaut à compenser.
Or, si une personne en fauteuil roulant ne peut pas accéder à une salle de réunion, ce n’est pas son corps qui est en cause. C’est l’escalier sans rampe, l’ascenseur en panne, ou la salle non adaptée.
👉 Le problème, c’est l’environnement — pas la personne.
C’est ce qu’explique très bien la militante britannique Jenny Morris, l’une des figures du modèle social du handicap :
« Les gens ne sont pas handicapés par leur corps, mais par les obstacles que la société place sur leur route. »
Prenons un autre exemple, très parlant dans le monde numérique : une application de santé qui ne fonctionne qu’en mode tactile, sans alternatives vocales ni raccourcis clavier. Pour une personne aveugle ou tétraplégique, cette app est inutilisable. Et pourtant, elle est bien conçue, esthétiquement propre, fonctionnelle pour la majorité.
Mais ce “fonctionnelle pour la majorité” trahit une vérité plus dure : elle a été pensée sans eux. Et c’est précisément là que le handicap devient social. Quand on oublie certains publics. Quand on normalise l’exclusion, parce qu’elle est “statistiquement négligeable”.
En réalité, tout le monde est potentiellement concerné. Le handicap peut être temporaire (un bras cassé), contextuel (un environnement bruyant), ou simplement lié à l’âge (vue qui baisse, gestes moins précis).
Quand on part de cette évidence, on réalise à quel point nos environnements sont souvent “handicapants” — et pas l’inverse.
Si aujourd’hui on considère le handicap comme une question sociale, ce n’a pas toujours été le cas. Pendant longtemps — et ce jusqu’à très récemment — on l’a abordé sous l’angle médical, voire pathologique.
C’est ce qu’on appelle le modèle médical du handicap : une vision centrée sur la déficience, sur ce que “la personne ne peut pas faire”, et sur les moyens de la réparer, la corriger ou l’adapter.
Autrement dit, le problème, c’était “le corps”. Et, la solution, c’était la médecine. Les soins. La rééducation. Le traitement. Le silence aussi, parfois, on doit l’admettre.
Cette logique a profondément marqué nos institutions, nos politiques publiques, et meme notre langage. Il suffit d’écouter les expressions encore utilisées dans certains milieux :
Mais dans les années 70, quelque chose change. Au Royaume-Uni, des personnes handicapées elles-mêmes commencent à revendiquer une autre lecture : Le problème, ce n’est pas moi, c’est le système.
C’est le début du modèle social du handicap. Un renversement radical de perspective : on ne nie pas la réalité d’une déficience, mais on affirme qu’elle ne devrait pas empêcher de vivre dignement, d’accéder aux droits, de participer pleinement à la société.
Le handicap n’est plus perçu comme une tragédie personnelle, mais comme une conséquence de l’exclusion. Une construction sociale. Ce glissement de regard est majeur. Il permet :
Ce n’est pas une coquetterie intellectuelle. C’est une révolution concrète dans la manière d’aménager une salle de classe, de construire un site web, ou de recruter dans une entreprise. Et c’est cette révolution — encore incomplète — qui justifie pleinement que le handicap soit traité comme un enjeu social, mais pas médical.
Ce changement de regard n’est pas qu’une affaire de théorie ou de militantisme. Il a des implications très concrètes dans nos lois, nos institutions, nos entreprises… et dans nos comportements quotidiens.
Quand on reconnaît le handicap comme un problème social, cela signifie que la société a sa part de responsabilité. Et donc, un rôle actif à jouer.
Ce n’est plus un choix politique ou un “plus” humaniste : c’est une obligation. L’État doit s’assurer que ses services sont accessibles à toutes et tous, quels que soient les profils.
Cela passe par des :
Et au-delà de l’accessibilité, il y a la représentation. Car un système qui ne reflète pas la diversité des corps et des expériences, c’est un système qui exclut.
Pour une entreprise, considérer le handicap comme un enjeu social, c’est changer la logique du recrutement, de la communication interne, de l’organisation du travail.
Certaines entreprises vont plus loin, en co‑construisant leurs outils avec les personnes concernées. Et ça change tout : non seulement on gagne en accessibilité, mais aussi en performance.
Ce changement de regard concerne aussi notre posture à nous, individuellement.
Le handicap social, c’est aussi ces petites choses qu’on fait (ou ne fait pas) :
Une société inclusive, ce n’est pas une société où on attend que “l’autre s’adapte”. C’est une société où tout le monde pense l’accueil comme une responsabilité collective. Et ça commence par ça : ne plus penser le handicap comme un problème individuel.
S’il y a un domaine où l’approche sociale du handicap est flagrante, c’est bien celui du numérique.
Parce qu’en ligne, les inégalités ne se voient pas toujours… mais elles se vivent. Et elles s’accumulent vite.
Prenons un exemple tout simple : une plateforme de téléservices pour déclarer ses impôts.
Si l’interface n’est pas compatible avec les lecteurs d’écran, si les boutons sont mal étiquetés, si le contraste est insuffisant… alors cette plateforme devient une barrière numérique. Invisible pour la majorité, mais infranchissable pour une partie de la population.
Et c’est là qu’on comprend que le handicap est une construction sociale : ce n’est pas la déficience qui exclut, c’est l’oubli de l’inclusion dans la conception même des outils.
Beaucoup de produits digitaux sont pensés pour “l’utilisateur type” :
— une personne valide, à l’aise avec la technologie, lisant vite, entendant bien, sans limitation cognitive, visuelle ou motrice.
Sauf que cette personne-là… n’existe pas. Ou plutôt, elle ne représente qu’une partie très réduite des vrais utilisateurs.
Si vous concevez pour elle seule, vous excluez des millions d’autres.
Et ce n’est pas une figure de style. Rien qu’en France, près de 12 millions de personnes sont concernées par une forme de handicap (permanent ou temporaire). Et dans le monde, c’est plus d’un milliard.
Le numérique peut pourtant être un formidable outil d’émancipation. Il permet, d’ailleurs, de
Mais à condition qu’il soit pensé pour tous.
Et cela commence par une règle simple : ne pas attendre que quelqu’un se signale comme “utilisateur handicapé”. Concevez pour l’inclusion dès le départ.
C’est d’ailleurs ce qu’on explore en profondeur dans l’article: “Senior-friendly ? Pourquoi votre interface fait fuir nos grands‑parents” : car une interface non inclusive n’exclut pas seulement les personnes handicapées — elle rend la vie plus compliquée à tout le monde.
Le handicap n’est pas un défaut à corriger, c’est souvent une conséquence de notre environnement.
Des escaliers sans rampe, des sites inaccessibles, des formulaires illisibles… voilà ce qui exclut.
👉 Ce n’est pas aux personnes de s’adapter, c’est à la société de cesser d’exclure.
Penser l’accessibilité, ce n’est pas faire plaisir à une minorité — c’est rendre la vie plus simple à tout le monde, aujourd’hui ou demain. Parce qu’on sera tous, un jour, concernés.
Alors : et si on commençait par changer nos réflexes… plutôt que de pointer les “incapacités” des autres ?